La Ville de la Pluie un autre opus poétique
La Ville de la Pluie, un texte mélancolique et pluvieux
Tout comme son prédécesseur, La Femme sans nom, ce texte est une réponse à une commande des éditions Maelström (Bruxelles) pour leur collection de booklegs “Bruxelles se conte”. Préoccupée à cette époque par mes longues années en cette ville, le temps qui passe, les amis qui s’en vont et tant d'autres bricoles métaphysiques, ce texte s’est imposé à moi en peu de temps tel une gifle pluvieuse et mélancolique. Pour mon plus grand plaisir, l’éditeur l’a accepté sur-le-champ !
Il est disponible dans les meilleures librairies de Bruxelles (Tropismes & Libris) et de Belgique, sinon il se commande facilement auprès de La Maison de la poésie d’Amay (085 31 52 32). Et bien sûr il peut s’acheter directement à la Boutique Maelström, qui vend d’autres merveilleux livres et des tonnes de booklegs, au 364 chaussée de Wavre à Etterbeek (Bruxelles). En France vous pouvez soit le commander en librairie en précisant le distributeur (Le Collectif des éditeurs indépendants), soit directement auprès du Collectif (01 45 41 14 38).
Extrait
L'on vit avec, l'on s'en accommode.
A ce stade-ci l’on est affligée par les années passées dans la Ville de la Pluie plutôt que dans le pays de l’autre côté de l’eau – regrets, lancinants - et l’on n’exprime plus qu’un seul souhait : au moins ne pas se décomposer ici (alors que, pourtant, le processus est déjà entamé, chaque jour le miroir nous en parle).
L’on ne veut pas que ce soit nous que nos amis, notre amour, aillent voir ici à l’hôpital, ou accompagnent ici au cimetière.
On ne le veut pas.
Surtout, l’on ne veut pas que, pour les trottoirs, l’on se mette à présent à marcher sur le bord intérieur et à longer les murs des maisons, ce serait signe d’une fin rapprochée.
D’ailleurs, l’on comprend mal.
Au début de l’histoire on marchait au bord tout au bord, le long du bord extérieur, comme si on longeait alors la frontière, et que l’on cherchait encore un moyen de s’échapper.
Pour éviter tout cela il faudrait fuir avant, maintenant, éviter de vieillir ici complètement (éviter de vieillir tout court est une option peu envisageable, in fine).
Ou alors il faudrait mourir sur-le-champ puis être brûlée, s’élever en fumée au-dessus de la Ville de la Pluie à laquelle, finalement, l’on échapperait.
Liberté, alors, celle de quitter la ville en un trait de fumée.
Notre signature dans le ciel gris, lourd, usant, notre signature émerveillée !
Maintenant est la dernière heure du temps
Pour finir, l’on rêve éveillée que l’on est sur le rivage et que l’on regarde de l’autre côté de l’eau : l’on devine gratte-ciel, maisons coloniales, et champs de maïs ou de blé, à perte de vue, ainsi qu’à perte de vue ces mers de banlieues chics aux maisons aussi élégantes que vides.
On retend son filin de funambule, mais l’on n’a plus la souplesse d’avant, cela devient risqué.
Alors on tente une dernière chose, l’on tend la main, le bras, et l’on se dit que l’on va peut-être y arriver, comme ça.
La main, le bras, se tendent, vers le pays de l’autre côté de l’eau, vers un cerf-volant dans le ciel un jour d’été et des barbecues où grillent des marshmallows, vers un bateau à aubes et les pommes de terre dont on mange la peau, vers un concert de bluegrass et des Noirs qui saluent le bus qui nous emmène, ailleurs, toujours ailleurs.
C’était toujours mieux, ailleurs, avant.
La main le bras se tendent mais ils ne l’atteignent pas, ce pays tout là-bas.
Il s’en faudrait de peu, pense-t-on en soi-même.
On est sûre de cela.
L’on se dit, c’est juste un petit manque de volonté,
Ou d’agilité.
C’est juste la faille, ou bien les tentacules.
C’est juste les années qui ont passé, resserré leur étreinte.
Les trottoirs vacillent.
Leurs bords, leurs bords !
Les pans de pluie se sont rapprochés encore, c’était inévitable.
Maintenant la ville s’est refermée, il ne sera plus question de lui échapper.
On s’est réveillée trop tard.
Elle a tellement de tentacules, dont certaines se nomment amour ou amitié.
L’on ne savait pas que c’était possible, d’un pays l’autre l’on avait toujours vécu temporairement.
C’est cela, la violence du
temps
stagnant
Les nomades ne vieillissent pas
Ils se réinventent,
en permanence