Traduire, dit-elle

De page en page, ici ou ailleurs, je ne manquerai pas de vous entretenir du pur hasard que fut, et qu'est peut-être encore, ma carrière de traductrice littéraire, un devenir que je n'ai vraiment pas choisi. Ce n'est pas pour autant que je ne m'acquitte pas professionnellement de ma tâche, je tenais à le préciser avant que les malentendus s'installent !

Certes ma première vocation était d'être assistante sociale, puis professeur d'allemand - j'adorais cette langue, et l'adore toujours aujourd'hui, même si elle m'échappe quelque peu...

A mon retour d'Amérique je souhaitais étudier l'anthropologie, ça m'a été refusé.

Alors voilà peu ou prou comment je me suis retrouvée angliciste, puis enseignante, puis traductrice... Les hasards de la vie, en somme, que j'explique brièvement ici.

Je préciserai que je détestais cordialement le pensum des thèmes et versions latines - je dois à ma mère d'avoir réussi à maintenir une vague moyenne tout au long de ma scolarité -, et que si le cours de thème de mes années d'angliciste me ravissait, celui de version n'était pas mon préféré !

Pourtant, je me suis retrouvée à faire un mémoire de maîtrise (Master 1) en traduction, plutôt par facilité que par choix déterminé, je me dois bien de l'avouer.

Dix années ont passé  et j'ai entamé bon gré mal gré une carrière qui, 30 ouvrages et une sélection pour le Prix Amédée Pichot plus tard, me voit "assise" dans la profession, si je puis oser.

Longtemps je me suis exécutée sans trop y réfléchir, ce dans une relative souffrance puisque les textes que l'on me proposait, au début, étaient tous bien difficiles, ne serait-ce qu'au niveau du style. Ne parlons pas de ce cher Aidan Mathews, auteur irlandais qui avait truffé tout un roman de citations shakespeariennes cachées...

Et puis un jour j'ai eu la révélation ! A l'image de Rose-Marie Vassallo (in TransLittératures no 40) disant "... Je déteste traduire... j'aime seulement avoir traduit. En traduction... mes seuls moments heureux... sont quand la v.f. prend vie, après la lutte sourde, le corps à corps."

Et en effet, peut-être est-ce là qu'intervient ma casquette d'auteur, je n'éprouve pas de plaisir particulier à me débattre avec un texte anglais - langue que pourtant j'adore, tout comme j'adore traduire vers l'anglais, allez comprendre -  encore moins un texte néerlandais ! Il faut en passer par là mais ça ne m'intéresse pas. Logique, je n'ai jamais eu de goût pour les puzzles, les mots croisés ou les dictionnaires. Je travaille d'ailleurs par couches successives me permettant de m'éloigner aussi vite que possible du texte d'origine, que je revérifie néanmoins toujours mot à mot ensuite, conscience professionnelle oblige.

Par contre j'adore affiner le texte en français, lui donner une vie autonome, l'éloigner au maximum de cette langue tierce qu'est un premier (et même un cinquième) jet de traduction. En un mot, je tente de me l'approprier, tout en respectant l'esprit et la lettre de son auteur, bien sûr, et j'effectue là le travail d'auteur que tout traducteur est amené à effectuer "en phase terminale", qui se présente plus ou moins tôt selon les livres, et les traducteurs.

C'est pourquoi il est éminemment dommage, aujourd'hui, que l'on bouscule les traducteurs en leur demandant une remise au bout de trois mois au lieu de six avant, c'est en tout cas mon expérience de ces dernières années. C'est méconnaître l'alchimie très particulière qui est à l'oeuvre dans ce genre de travail, la nécessité de la réflexion, et de la décantation, surtout de la décantation ! Pour que subsistent le moins de scories possible, qu'ait été éliminé le maximum de traces du texte d'origine.

C'est un travail d'orfèvre, je ne crains pas de le dire, auquel je prends un  immense plaisir - mon goût pour la broderie devant relever du même principe - et que je trouve dommage de voir de plus en plus saborder au profit de la rapidité de production.

Je vous laisse pour conclure en compagnie de Svetlana Geier, cette merveilleuse traductrice de Dostoïevski en allemand, dont les vues sur la traduction ne manqueront sûrement pas de vous intéresser, tout comme sa méthode de travail, pour le moins élaborée !

Ci-après la bande-annonce du film La Femme aux 5 Elephants qui la met superbement en scène :